Et si l’on parlait d’eux ?
Faut-il être un peu seul pour être rayonnant
Et faut-il que son cœur soit triste ou bouillonnant
Pour que la plume pleure autant de pages belles ?
Vigny le solitaire épris de passion
Pour l’amante Dorval trouva l’illusion
Dans ses bouquets de vers aux rimes éternelles.
Qui donc ne s’est ému de la mort de « son » Loup
Qui souffrit et mourut en tombant sous les coups ?
J’entends encore au loin ce son du Cor qui sonne
Le soir au fond des bois ; triste fut le combat,
Cruel et déloyal, l’auteur comme un soldat
Nous fit vivre la mort pour leur dernier automne.
Faut-il être accablé de tourments attristants,
Faut-il être angoissé face au temps de son temps
Pour noircir tant de vers aux rimes précieuses ?
Baudelaire le fut ; le poète agacé
Avait pour ennemi son temps et son passé.
Mais nous eût-il donné ses pages glorieuses
Et nous eût-il écrit aussi « ses » Fleurs du mal
S’il n’avait pas connu l’ennui son grand rival ?
Qu’importent les raisons, qu’importe qu’il fût sombre
Laissons-nous transporter en voyage avec lui,
Respectons le poète et son temps qu’il a fui
Et que ses sentiments ne soient pour nous une ombre.
Plus le récit émeut, plus l’histoire nous prend,
Plus l’âge est insolent, plus le génie est grand.
Fallait-il que Rimbaud haïsse autant la guerre
Pour écrire si beau ? et « son » Dormeur du Val
Dans son trou de verdure au destin bien fatal
N’eût sans doute existé, ni bien d’autres prières.
Faut-il être troublé dans l’âme et dans ses chairs
Pour écrire si jeune et surprendre ses pairs ?
Eût-il écrit aussi ses vers du « Bateau ivre »
Le jeune enfant prodige admiré par les siens,
Mauvais ange ou démon, se voulant Parnassien,
S’il n’avait côtoyé souvent ce mal de vivre ?
Faut-il aimer le vice et se montrer pervers
Ou même violent pour écrire des vers
Qui traversent les temps et que l’enfant récite ?
Et si Verlaine aussi vécut intensément
Des plaisirs les plus fous aux douteux sentiments
Eût-il autant écrit sans regrets insolites ?
Eût-il même entendu tous « ses » sanglots si longs
Des violons d’automne et de leurs tourbillons ?
« Ô triste était mon âme » écrira le poète,
Si l’inspiration naît souvent des remords
Comme aussi des amours malheureux ou bien morts
La plume très souvent tempère la défaite.
J’ai gardé pour la fin un dernier grand héros
A qui Paris offrit son tout dernier repos,
Hugo visionnaire, écrivain et poète,
Géant parmi les grands, féroce combattant,
Son œuvre titanesque est celle d’un battant.
Mais s’il gagna la gloire, il dut battre retraite.
Les peines il en eut, quand on vit si longtemps
Rarement le destin vous sourit tout le temps ;
« Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste »
Ecrira l’écrivain, quand il perdit l’enfant
Qu’il chérît plus que tout ; puis Paris l’étouffant
Le poussait à l’exil, lui l’ancien monarchiste.
Eût-il autant écrit s’il n’avait fui Paris
Pour des îles d’ailleurs, pour chasser le mépris
En dénonçant l’Histoire en la voulant plus belle ?
Et bien qu’il eût connu des temps de désarroi
En contestant le sien et même un jour le Roi,
Sa plume fut toujours l’allié le plus fidèle.
La plume est plus féconde avec les sentiments,
Les regrets, les excès, les amours trop déments
Ont bien souvent nourri la verve du poète ;
Les trop tristes destins, la colère ou la mort,
Les peines qui font mal, ces caprices du sort
Par ses mots l’écrivain les façonne en conquête.
Aussi ne pensez pas qu’il suffise d’avoir
Quelque tourment, quelque chagrin ou désespoir
Pour briguer le talent quand on est un peu triste,
Si les maux ont souvent inspiré l’écrivain,
C’est toujours le talent qui fleurit son chemin,
Tout le monde ne peut devenir un artiste.
René Ed. Sidorkiewicz
Malakoff, février. 2013
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